Hacker en France : La grande désillusion

Je me nomme p1g3on, mon nom et mon prénom véritable n’ont pas beaucoup d’importance dans notre monde numérique. Je ne suis pas un petit jeune puisque cela fait 20 ans que je suis sur les réseaux, ceux qui sont de ma génération se rappelleront sans doute des factures de téléphones ubuesques que nous avons dû payer pour laisser libre cours à notre passion. Mais je n’aurais à cette époque jamais imaginé me retrouver dans la situation précaire dans laquelle je suis au moment même où je rédige ce témoignage.

 

 

 

On pourrait penser à tort que les hackers sont tous des génies en informatique et bien entendu des ingénieurs ayant un côté de leur personnalité assez marqué par la geek attitude. Ce serait bien entendu une erreur, car les hackers ont tous des profils différents. En ce qui me concerne, je n’ai pas fait d’études supérieures et je n’ai même pas le BAC. En fait à l’école je m’ennuyais et je me calais à côté du chauffage où mon esprit s’évadait loin de cette prison. Je n’étais pas stupide, car en travaillant je comprenais aussi bien que les autres, mais le système français n’était déjà pas à ce moment-là adapté à son époque. Non pas qu’il soit mauvais ou autre, mais dans mon cas il a plutôt été un broyeur qu’autre chose. J’ai beaucoup de compassion pour les jeunes qui encore aujourd’hui en font les frais. À 18 ans, je suis donc allé travailler de nuit dans une entreprise comme gardien de nuit, mais sans diplôme il faudrait me contenter pendant des années du SMIC.

La cartographie des réseaux

Dans le domaine informatique, je ne suis pas un super codeur, ni un génie des réseaux. J’ai toujours eu une certaine facilité pour comprendre et analyser les réseaux sociaux. À l’époque ça ne s’appelait pas comme ça, nous parlions plutôt de forums ou de listes de diffusion pour faire simple. Ayant été victime d’une agression dans ma prime jeunesse, j’ai souhaité trouver et signaler aux autorités les réseaux concernés (tout le monde aura compris de quoi il s’agit). Pour être tout à fait franc, au début je les chassais par pur esprit de vengeance. Oui je sais le terme « chasse » est fort, mais il correspond parfaitement à ce que je ressentais à cette époque. Pour être plus efficace, il m’a fallu me documenter et j’ai donc lu des travaux américains (donc entièrement en anglais) sur la psychologie criminelle. Le temps passant, mon désir de vengeance a fini par disparaître pour laisser la place à une envie de comprendre comment fonctionne l’esprit humain sur les réseaux Internet.

Quand je suis allé à la convocation pour le service national, je fus choqué par l’ignorance flagrante des militaires sur l’importance des réseaux sociaux. Heureusement ça a changé depuis. Volontaire pour faire l’armée, non pas par patriotisme, mais plutôt par un désir profond de changer de vie, je fus exempté parce que je racontais pour la première fois ce qui m’était arrivé durant mon enfance. Ratée la carrière militaire… Néanmoins, l’officier que je rencontrais me conseilla de déposer une plainte, ce que je fis ou plutôt que j’ai tenté. Parce que oui en 1996 le concept de justice était plus que flou. D’ailleurs ma plainte a disparu dans le labyrinthe de Minos qu’est le parquet de ma région. Si vous la croisez un jour, passez-lui le bonjour de ma part. J’ai donc pris la décision d’aider et de protéger au mieux les enfants sur internet et j’ai donc continué à m’améliorer dans la recherche d’information et la cartographie des réseaux. En 2005 j’ai écrit une étude sur le comportement cyber criminel qui fut apprécié par la Gendarmerie Nationale puisque je fus invité en tant qu’intervenant lors d’un forum très officiel sur la Cybercriminalité. C’est un peu à cette époque que j’ai commencé à comprendre que je n’étais pour les « spécialistes ultra diplômés » qu’un amateur qu’on regarde avec une certaine condescendance voire de la pitié. Pourtant les résultats étaient là, puisque je trouvais des centaines de profils et de dizaines de réseaux par an. Quelque temps plus tard, j’ai décidé de mettre fin à cette vaste enquête qui dura plus de 10 ans. J’avais tourné la page sur mon passé et je souhaitais changer de sujet.

Quand on travaille seul dans l’ombre, on prend des risques autant pour sa vie que pour sa santé mentale. Je vous passerai les frayeurs que j’ai eues quand je me suis fait pirater et que mes données de recherche (que j’avais sauvegardées) ont été détruites. Lorsque Facebook est arrivé dans notre beau pays, j’y ai tout de suite vu un intérêt stratégique en termes de renseignement et je me suis investi à 100 % dans l’analyse de ces nouveaux types de réseaux sociaux.

Hacker veilleur de nuit

Lors d’une conférence sur la cybercriminalité où je me rendais toujours à mes frais puisque comme je l’ai dit plus haut je travaillais au SMIC de nuit, j’ai rencontré un directeur du renseignement intérieur. J’ai vainement tenté d’expliquer à ce brave homme qu’il était possible de prévenir via les réseaux sociaux, les risques d’attaques terroristes sur notre sol. Bien évidement il ne m’a pas cru, je l’ai su quand j’ai vu son regard changer lorsqu’il m’a demandé des précisions sur mon parcourt professionnel. Un hacker veilleur de nuit dans une résidence ça fait beaucoup mon sérieux du coup. Il ne s’est même pas demandé comment j’avais fait pour être invité par la Gendarmerie. Mon travail de nuit commençait d’ailleurs à me peser, le manque d’évolution professionnelle et le salaire de misère que j’avais depuis tout ce temps ne m’aidaient pas à me construire un avenir. J’ai donc voulu capitaliser tout ce que j’avais appris et découvert, je tentais alors de me faire embaucher dans des entreprises et sous contrat civil au sein de la Gendarmerie.

 

DCRI

 

 

Ma déception fut grande. En effet comme je n’avais pas de diplômes je n’intéressais personne. Malgré tout ce que j’avais fait pendant plus de 10 ans, renseigner les services de l’État sans rien demander en retour, je me retrouvais laissé sur le bas-côté de la route. Je voyais des pseudo-spécialistes bardés de diplômes être écoutés et respectés, être employés par des petites et grandes entreprises… Ces gens avaient une vie, mais moi dans tout ça ? Eh bien, le néant total. Imaginez ma colère et mon désespoir quand vous réalisez que vous n’êtes rien. J’ai quand même surmonté cette épreuve, car en tant qu’autodidacte nous n’avons pas le temps pour pleurer sur notre sort.

En 2011, j’ai été contacté via un ami par la DCRI de ma région qui avait besoin d’un spécialiste pour infiltrer les réseaux sociaux. Le deal était simple, en échange de mes services, je serais payé sous le manteau et si je faisais vraiment l’affaire je serais embauché. Après toutes ces années de galère, j’y ai vu une lumière au bout du tunnel. Il fallait que je fasse mes preuves (encore), mais le jeu en valait la chandelle. Fou que j’ai été !

80 euros, pour un mois de travail à la DCRI

J’ai donc travaillé dans le renseignement antiterroriste, et dans la sécurité intérieure. Ils furent très contents, mais, moi, beaucoup moins, car pour un mois de travail j’étais payé 80 euros, ce qui me motivait c’était la possibilité d’embauche. Ne croyez pas que je sois complètement naïf. Au bout d’un an vu que ça n’avançait pas, je les ai piégés en leur demandant une formation en Pentesting assez onéreuse. Quand ils m’ont répondu qu’ils allaient y réfléchir parce que ce serait eux qui payeraient de leur poche, j’ai compris que leur hiérarchie n’était même pas au courant de mon existence. J’étais simplement un indic, un guignol qu’on prend et qu’on jette quand on a plus besoin. J’ai donc arrêté les frais.

Sous la présidence de Sarkozy, j’ai écrit à la présidence de la République en espérant sans trop y croire qu’on allait m’aider. J’ai bien reçu une réponse qui me conseillait de passer les concours pour la police. La bonne blague ! Avec mon niveau scolaire, le seul poste que je pouvais espérer c’était de patrouiller en banlieue et me retrouver confronté à la délinquance des rues. Déjà je ne suis pas un gars qui aime la violence physique, je préfère la négociation. Ensuite mon expertise est sur Internet, donc je ne voyais pas l’intérêt d’une telle proposition. Et pour être clair, j’ai trouvé ça insultant. N’y voyez pas une crise d’égo, mais j’estime avoir fait mes preuves depuis longtemps et donc je ne m’attendais pas à une telle réponse. Un ami m’expliqua un jour comment fonctionne notre pays : « Dis-moi quel diplôme tu as et je te dirais qui tu es. »

Le renseignement militaire

L’an dernier, j’ai perdu mon travail alimentaire et je me suis retrouvé au chômage, à Pôle emploi on ne m’a jamais proposé de formation ou d’emploi correspondant à mon parcours professionnel. Pire on m’a demandé de justifier chaque ligne de mon CV. Allez demander une confirmation à la DCRI ou à la Gendarmerie… Bon courage. Donc pour Pôle emploi je suis un affabulateur ou un gros mythomane. En janvier, j’ai été radié et je suis actuellement sans revenus. Pas grave, je continue à développer mon expertise et j’ai donc appliqué ces méthodes au renseignement militaire, toujours en freelance. Les informations n’étaient pas seulement critiques, mais totalement opérationnelles lors d’un conflit armé. En juillet, j’ai écouté une interview et j’ai contacté la personne qui m’a finalement aidé et qui a cru en moi. Pour être franc, je n’y croyais pas, j’avais perdu espoir dans la France. Cet homme m’a prouvé que je pouvais être utile et il m’aide en ce sens. Je recommence à faire confiance aux autres, c’est un bon début. Le plus drôle dans tout ça c’est que le cancre enseigne de temps à autre tout son savoir en école d’ingénieurs. La vie est étrange quand même non ?

En conclusion, je n’ai pas honte ou de regrets sur mon passé désastreux en terme de carrière professionnelle. Ces épreuves m’ont forgé un caractère et quoi qu’il se passe je serais toujours là, sur les réseaux sociaux. J’enseigne d’ailleurs, la psychologie des relations humaines, la psychologie des organisations, la géopolitique, le renseignement militaire et l’OSINT (open source intelligence). Le tout adapté à Internet. Ces méthodes de renseignement ne seront jamais aussi efficaces que le renseignement sur le terrain, mais elles apporteront un soutien non négligeable sur le plan opérationnel. Je finirais par quelques mots. Ce qui me fait le plus mal voyez-vous, c’est que j’aime ce pays et que je veux juste faire ma part. Servir la France est un grand honneur, mais je ne peux pas le faire pour le moment, car je suis sans diplômes. J’aurais pu partir à l’étranger, mais je crois que je n’en ai pas le courage, et puis personne ne me connait. Une chose est certaine, si je n’avais pas des valeurs morales j’aurais basculé du côté obscur de la Force et je serais plus fortuné que maintenant. Mais que voulez-vous, on ne peut pas se mentir à soi-même.
Ami hacker si tu as lu ce que j’ai écrit, ne baisse jamais les bras et, si comme moi, ta famille ne croit pas en toi, n’oublie pas que c’est ta vie. Pas la leur. Accroche-toi et tu auras un jour un coup de pouce du destin, en tout cas moi j’y crois.

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